La corporate gouvernance se trouve au pied du mur (4/4)
Article
Agefi - 15 août 2002
Rubrique Repères
NDLR :
Cet article sur le corporate governance est le dernier d’une série de quatre dédiés à cette problématique. Le contenu des articles est disponible pour les abonnés et les détenteurs de la carte@web sur le site internet www.agefi.com.
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MANAGEMENT - Les principes de corporate governance se sont progressivement imposés dans le capitalisme anglo-saxon
Le corporate governance n’est pas seulement l’affaire des entreprises, il concerne aussi le bien-être des économies nationales.
Par Olivier Terrettaz *
Aussi invraisemblable que cela paraisse, aucune obligation n’est aujourd’hui faite aux sociétés qui ne sont pas cotées en bourse de mettre en œuvre des principes servant à détailler leurs pratiques en matière de gouvernement d’entreprise. Pourtant, si ces dernières ne répondent pas aux attentes du marché, les entreprises concernées risquent de payer plus cher les capitaux dont elles auraient besoin, ou pire encore, de ne plus être en mesure de les réunir. Car contrairement à ce qui se passe lorsqu’une société dégage des bénéfices, l’organisation du conseil d’administration – savoir s’il est composé d’amis, d’administrateurs indépendants, etc. – est un élément prépondérant dans l’examen des conditions de crédit qui leur sont offertes.
En un peu plus d’une décennie pourtant, les principes de corporate governance se sont imposés dans le capitalisme anglo-saxon et se sont répandus sur toutes les bourses occidentales, instituant ainsi une sorte de code universel.
Bien que personne ne suggère d’appliquer un modèle unique,
la convergence vers un ensemble commun de principes est inévitable.
En effet, les mêmes thèmes fondamentaux apparaissent partout, ce d’autant plus que les codes ont pour but d’améliorer l’efficacité du conseil d’administration et d’augmenter les niveaux de performances, et non d’uniformiser les règles.
Une certaine souplesse doit être de mise afin que les règles d’un bon gouvernement d’entreprise ne soient pas trop contraignantes pour les sociétés et qu’elles puissent ainsi prospérer. La substance du gouvernement d’entreprise est plus importante que sa forme. Et l’adoption par le conseil d’administration de règles, de conduites ou de principes particuliers n’est absolument pas un substitut au bon gouvernement d’entreprise, dont la finalité ne vise en aucun cas à lui permettre de «s’acheter» une bonne conscience.
Pour restaurer la confiance après les scandales, il serait nécessaire d’explorer quelques pistes; il faudrait rendre les administrateurs et les managers plus facilement assignables en justice et renforcer le rôle stratégique du conseil d’administration et des comités. En outre, le contrôle de gestion que doit exercer le conseil d’administration sur la direction générale devrait être plus efficace. Ce dernier pourrait être amélioré lorsque les fonctions de président du conseil d’administration et de CEO sont séparées, lorsque le conseil d’administration est majoritairement représenté par des administrateurs indépendants ou lorsque des comités sont mis sur pied (par exemple, comités d’audit, de nomination, de rémunération, stratégique, etc.).
Les solutions proposées doivent mettre en équilibre quatre facteurs :
les compétences,
la structure,
le management et
la législation en vigueur.
Dans l’immédiat, les conseils d’administration devraient établir et respecter les cahiers des charges du conseil et des comités, mesurer la performance du conseil, s’assurer que le comité d’audit est opérationnel et indépendant, et enfin mettre en place une formation continue pour chaque membre du conseil.
Les principes doivent faire part d’ouverture (fonctionnement plus transparent), de participation (qualité, pertinence et efficacité du conseil), de responsabilité (clarification des rôles), d’efficacité (décisions prises au niveau le plus approprié) et de cohérence (actions cohérentes et parfaitement compréhensibles). Ainsi, les mesures adoptées pourraient aider à rétablir une confiance totale, ou tout du moins à rassurer les investisseurs.
La pression ne va pas se relâcher à l’avenir et les marchés des capitaux agiront sur les conseils d’administration, en particulier par l’intermédiaire des fonds de pension étrangers. En effet, un gestionnaire est toujours confronté à l’alternative suivante lorsqu’il détient des actions peu performantes: les vendre ou les conserver et ainsi chercher à influer sur le conseil d’administration et donc le management des entreprises concernées. Les fonds de pension adoptent la seconde attitude, car face à de mauvaises performances boursières, ils se trouvent dans la quasi-impossibilité de vendre sous peine de voir encore s’effondrer le cours. Ils n’ont donc d’autres solutions pour améliorer le rendement de leurs investissements que de chercher à peser sur les décisions des entreprises et de regarder à deux fois les principes de gouvernement d’entreprise que la société aura mis en place (voir l'encadré dans le premier article de cette série sur l' "Effet CalPERS").
Les investisseurs institutionnels et les marchés financiers internationaux détiennent la clé du changement et ont un rôle important à jouer en encourageant le développement des principes de gouvernement d’entreprise au travers de leurs votes lors des assemblées générales d’actionnaires ainsi qu’en communiquant avec le conseil d’administration et le management. Il ne faut donc pas se méprendre sur les intentions des institutionnels et tout particulièrement des fonds de pension. Ceux-ci ne désirent pas se substituer aux organes de la société, ni siéger au conseil d’administration, mais aider au choix d’administrateurs indépendants afin qu’ils protègent au mieux les intérêts des actionnaires.
En conclusion...
Pour les entreprises, le corporate governance signifie un accès plus large et meilleur marché aux capitaux.
Pour les investisseurs, une optimisation de la valeur actionnariale sur le long terme.
Et pour les deux, cette dernière augure un bon business, puisqu’elle condamne la maximisation du profit à court terme et oriente l’entreprise à long terme.
Le corporate governance est véritablement à prendre comme une chance de renouvellement et de remise en question profonde de notre système de fonctionnement des sociétés.
Le système actuel est qualifié de féodal
par certains observateurs.
Les principes dégagés permettent de traduire un consensus de base reconnu à «effet d’intégration» et aident à confronter et à régler des opinions divergentes. Les modifications fonctionnelles, voire structurelles, sont vraiment des opportunités et les entreprises suisses devraient reprendre à leur compte tous les avantages que cela génère. Nous n’avons pas de leçon à donner aux autres nations, mais nous devrions appliquer les règles du jeu afin d’être compétitifs, comme nous l’avons souvent été. Dans ce cas précis, ce n’est pas tant la loi qui fait obstruction, mais plutôt l’économie…
Le corporate governance n’est pas juste l’affaire des entreprises, il concerne le bien-être des économies nationales. Entre un système de contrôle qui inhibe les dirigeants et une totale confiance des actionnaires qui laissent tout pouvoir à ces derniers, une voie médiane doit être trouvée. Les principes d’un bon gouvernement d’entreprise apportent une solution aux maux du management et sont donc l’instrument de défense des intérêts des actionnaires par excellence, pour autant que les sociétés respectent les règles de base et que les dirigeants soient des personnes responsables. Puisque les propriétaires se désintéressent des entreprises, il ne me reste plus qu’à lancer le slogan suivant :
«Actionnaires, réveillez-vous!»
* Conseiller en économie d’entreprise, auteur d’un mémoire sur l’adaptation du conseil d’administration en Suisse au regard du gouvernement d’entreprise (www.jurilivres.com).